Graver en taille-douce au XXIe siècle quèsaquo ?
L’eau-forte est un vieux procédé moyenâgeux de gravure en taille-douce, qui n’a rien de doux puisqu’il consiste en l’attaque à l’acide d’une plaque métallique en 7 étapes :
- D’abord recouvrir la plaque de métal d’une couche de vernis.
- Graver en rayant le vernis avec une pointe (pointe sèche dit-on).
- Cracher sur la plaque pour accélérer le processus de morsure (optionnel).
- Plonger la plaque métallique dans de l’acide (perchlorure de fer dans le cas d’une plaque de cuivre).
- Rincer la plaque.
- Retirer le vernis en priant pour qu’il n’ait pas sauté à certains endroits, provoquant ce qu’on appelle des « crevés ».
- Faire une petite pause en scrutant au compte-fil les sillons créés par l’acide, résultat d’un trait initialement effleuré à la surface qui finit inscrit en profondeur dans le matériau. Voici comment on obtient la matrice gravée.
⁂
L’estampe est le résultat imprimé de la gravure, et c’est encore une autre histoire. L’impression taille-douce est un autre procédé en 7 étapes :
- Recouvrir entièrement la plaque de métal (matrice) d’encre noire.
- Essuyer l’excédent d’encre avec un tissu (tarlatane dit-on). Plus la plaque sera polie, lisse, plus l’encre glissera dessus, plus les blancs seront lumineux. L’étape de l’essuyage permet souvent de paramétrer les contrastes de l’estampe obtenue.
- Lorsque l’étape de l’essuyage est terminée, on dispose la matrice sur le plateau d’une lourde presse taille-douce.
- On positionne un papier sur la matrice, préalablement humidifié et sélectionné avec soin pour sa qualité et son grammage.
- On met un feutre épais entre le rouleau et le plateau de la presse, pour ne pas brutaliser et la presse et la matrice.
- On tourne la roue.
- On soulève le feutre, et on obtient l’estampe : c’est le résultat du transfert de l’encre logée dans les sillons de la matrice en métal sur le papier humide, opération possible grâce à la pression du lourd rouleau en acier de la presse.
On peut recommencer le processus d’impression jusqu’à ce que la matrice s’altère (30 fois, 100, 1000…)
Traditionnellement, les artistes, les graveur.es, et les imprimeur.es étaient bien distinct.e.s, bien qu’iels n’avaient pas du tout le même statut de reconnaissance (issu d’un binarisme hiérarchisant entre l’esprit/concept artistique et la matière/technique artisanale). Condenser les trois permet de contrôler tout le processus et d’avoir un dialogue réactif entre dessin, gravure et impression. Les essais d’artiste (notés E.A.) sont des estampes parfois « ratées » ou « pas encore assez bien » qui permettent d’ajuster le geste en gravure et en impression. Enfin, l’essai réussi devient un « bon à tirer » (noté B.A.T.), sur lequel l’imprimeur.e ajuste son geste pour reproduire la gravure en autant d’estampes qui seront numérotées et signées par l’artiste.
⁂
Exemples performatifs en vidéo avec la réalisation gravure Puisque je vous dis que tout va bien ! gravée en 2020 (et les musiques mainstream qui vont avec) :
1/ Gravure (dessin, vernissage, report sur la plaque de cuivre, plongée dans l’acide et découverte décevante du trait gravé : le vernis étant troué la plaque fut parsemée de petits points)
2/ Encrage
3/ Impression
Bibliographie indicative
D’ARCY HUGHES Ann, VERNON-MORRIS Hebe, Le grand livre de la gravure, traduction de Claire Rascle, Pyramyd NTCV, 2013.
DEUX Cécile, « L’atelier du graveur » entretien avec Roger Borderie in « La Femme surréaliste », Obliques, numéro spécial, Paris, Roger Borderie, 1977, p. 280-287.
JOOP STOOP PRINTMAKERS INK & PAPER, Gravure – Chine-collé, Ajoutée le 20 mai 2016, [En ligne le 10/06/2018] Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=fn_ilhLdOpc
LEBOURG-RIGAL Nicole, Cours de gravure, Paris, éditions De Vecchi, 2003.
PERRAMANT Matthieu, artiste-graveur-imprimeur, enseignements aux ateliers Rigal (92) et Moret (75) 2015-2016, transmission orale, lesateliersmoret.fr.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Chloé Fleury Turcas (5 mai 2023). Graver en taille-douce au XXIe siècle quèsaquo ? Dé-figurations queer. Consulté le 18 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nhps